Je voudrais aujourd'hui rendre hommage à cet être si cher qui disparait. Lentement. Non sans fracas. Après des années de souffrance et de maladie. Tu vas nous manquer. En fait, tu nous manques déjà, depuis des années.
Toi l'aigle royal qui survolait le monde de ton regard perçant. Toi, la colombe de la liberté qui couvait de ses ailes les injustices et les inégalités. Toi, le canard qui nous faisait sourire en pataugeant dans les plus belles mares ou les pires flaques. Tu n'es plus.
Je me souviens pourtant, il n'y a pas si longtemps, de tes angles, de ta voix, de tes valeurs brandies comme un étendard. Comme tu y allais. Tu sortais les cadavres du placard. Tes chapeaux non feutrés, ta titraille sans faille, tes éditos sans égo. Toi, véritable journaliste, tu te relevais les manchettes, peu importe le papier ou la typo, tu ne pensais qu'à l'info. La dépêche n'était qu'un mot, tu n'étais pas pressé. Feuillets à effeuiller, l'accroche sans accroc, la gazette gazouillante, tu informais. Tu couvrais. C'est tout. Pas de scoop à tout prix, peu importe la cible.
Et puis, tu as muté. Tu piges comment, pourquoi ? Tu as mis plus de soin à l'habillage. Ulysse sans odyssée, tu as succombé aux sirènes. De l'audience, de l'audimat. Plus besoin de sourcer ou de recouper ses infos, pourvu qu'elles soient lues, entendues, rabâchées. En boucle. Jusqu'à ce qu'on ne les entende plus. Plus besoin de faire une hypothèse, tout est fait. Pauvre petit pisse-copie, tu as vendu ton corps et tes armes au plus offrant. Tu as travesti ton intégrité. Dans ton monde si bruyant, tu es devenu pute à cliques et tête à claques.
Tu ressembles à un dentiste. Prêt à tout pour arracher une dent à ceux que tu mets à la question, mal allongés sur ta table d'opérations médiatiques. Tu les tenailles, tu les passes à la roulette. Rarement tu les blanchis. Tu attends le faux pas. Tu leur arraches ce qu'ils n'ont pas dit. Jusqu'à ce qu'ils crachent au bassinet. Et que tu puisses en faire une information. Bidon. Bonne à bidet.
Tu évolues dans un monde déshumanisé. Bestial. Animal. Tu es ce crocodile à grande gueule mais tu joues petits bras. Tu es cette hyène qui se rit des carcasses. Ce vautour prêt à tout pour décharner les victimes. Qui se délecte des malheurs, des larmes et des drames. Ton monde et l'actualité sont devenusune histoire à bidonner. A caviarder. L'univers, sous ta plume et ton micro, n'est qu'une sombre rubrique des chiens écrasés. Et c'est nous tous qui prenons le bouillon.
T'as la canine qui brille. L'œil qui frise. Les commissures qui moussent. Arrête de sourire, on n'y croit pas. Bobardier sans éthique, journaleux à étiquette. Commentateur partisan, gazetier partial. Feuilletoniste à sensations, envoyé spécial à émotions, reporter d'images fabriquées, correspondant sans lettres. Journaliste sans frontière, sans barrière, sans limite.
Les réseaux peu sociaux, la petite lucarne dans mon salon, la radio et les journaux sont une fenêtre sur tes ondes sans nuance. Mais ton monde en noir et blanc, petit quotidien, ce n'est pas le mien. Négatif et conspiratif, garde-le ce pays que tu démontres. Ce n'est pas le nôtre. Alors, je ne suis personne et je ne suis rien mais permets moi de te rappeler la liste des courses à la valeur que tu avais accepté en te lançant dans ce merveilleux métier. Et n'oublie pas, rien ne dure quand on n'en prends pas soin. Tu es le quatrième pouvoir, tu as une responsabilité et nous, on n'oubliera rien.
Le journalisme est mort, vive le journalisme.
Les 9 grands principes du journalisme.
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